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Témoignage d’Yves RaibaudMercredi 14 septembre 2016 Yves Raibaud est géographe, maître de conférences et chargé de mission Egalité femmes/hommes à l’Université Bordeaux Montaigne. Il est également membre du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH). Son témoignage porte sur les pressions homophobes et sexistes qui pèsent sur les jeunes garçons ainsi que sur ces formes de domination masculine que sont l’accaparement de la parole ou de l’espace public. |
Mots-clé : Pressions homophobes et sexistes • accaparement de l’espace public • loisirs • parole
« J’ai été élevé dans les années 1960 dans un lycée de garçons avec son lot de brutalités, de grossièretés et de bizutages. Il fallait jouer ce jeu du "même pas peur, même pas mal", mais j’avais conscience de ne pas "être moi". Un jour, j’ai défendu un camarade un peu maigrichon tombé à terre : le prof de sport lui donnait des coups de pied et le traitait de pédé. Cela m’a valu un jour de renvoi du lycée. Mes parents ne m’ont pas soutenu... Peu à peu, j’ai rompu avec la solidarité masculine. Les discussions entre mecs sur le sexe, les prostituées : j’étais très mal à l’aise.
Les pressions homophobes et sexistes sont restées très fortes. C’est une véritable entreprise de réduction des personnalités. Je retrouve aujourd’hui chez les garçons la même trouille d’être démasqué, la même difficulté à percer la carapace que quand j’étais jeune. Combien s’interdisent de chanter ou de danser par exemple. Je l’ai expérimenté quand j’étais animateur musical. En revanche les studios de musiques actuelles sont accaparés par les garçons.
Les collectivités territoriales consacrent les deux tiers de leur budget culture et loisirs aux garçons et aux hommes. Les city stades, skates parcs et autres lieux construits pour canaliser la violence des jeunes sont de fait des lieux de socialisation masculine où s’entretient une culture viriliste, sexiste et homophobe. Quant au sport féminin qu’est devenu l’équitation, il a été assujetti à la TVA en 2012 ! Et des activités mixtes comme le théâtre, la randonnée ou la chorale sont dévalorisées. Pas viriles, donc ringardes…
En tant que géographe, je m’intéresse à la présence hégémonique des hommes dans la ville, à la manière dont ils marquent leur territoire. Toutes les femmes n’ont pas peur de se déplacer la nuit, mais toutes ont des stratégies pour éviter les dangers. La ville est faite par et pour les hommes. Cela se confirme dans les espaces de concertation citoyenne où se discutent les projets urbains : là aussi les hommes monopolisent la parole.
Ce n’est que progressivement que j’ai mesuré l’ampleur de la domination masculine, notamment à travers la prise de parole. Y renoncer demande beaucoup de vigilance. Vivre avec une femme féministe aide, car on ne se défait jamais tout à fait d’une éducation machiste... Lorsque j’essaie de distribuer la parole lors d’une table ronde, cela peut m’attirer l’animosité d’hommes vexés. Nous, les hommes, serions programmés pour la solidarité masculine : il faut au contraire accepter de trahir la classe des hommes et ses secrets afin d’apprendre à dire "Je". »