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Genre, femmes et économieVendredi 5 avril 2013, par |
L’économie se présente souvent comme une science et donc comme "neutre". Mais l’économie dominante est une science masculine - et occidentale. Son objet d’étude, l’homo oeconomicus", est un être supposé "asexué", c’est-à-dire en fait masculin. Les économistes sont majoritairement des hommes, le secteur de l’économie et de la finance est, avec le domaine politique, l’un des plus masculins. A un niveau élevé de responsabilité décisionnelle et d’élaboration de politiques publiques, les femmes sont très peu nombreuses.
Dans l’Union européenne, la prise de décision économique est assurée quasi exclusivement par des hommes. Les 27 gouverneurs des banques centrales des Etats membres sont des hommes. Les organes décisionnels clés au sein de ces organisations comprennent 83% d’hommes et 17% de femmes. Le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne est composé d’un bureau exécutif de six membres comprenant seulement une femme, et des gouverneurs des banques centrales des 15 pays de la zone euro, tous des hommes. En ce qui concerne la prise de décision, dans les 614 sociétés les plus importantes côtées en bourse, le poste de président est occupé à 97 % par des hommes, et les membres composant l’organise décisionnel le plus élevé sont à 89 % des hommes. Voir notre article "Chiffres et données sur les inégalités femmes-hommes"
Les raisonnements économiques ont jusqu’à présent pris peu en compte le fait que les politiques (du niveau micro au niveau macroéconomique) ont un impact différent sur les femmes et sur les hommes, en raison des rôles différents que les femmes et les hommes exercent dans le domaine productif et reproductif (sphère domestique), et de leur accès et contrôle inégal des ressources et facteurs de production. Ainsi, les politiques de libéralisation et de dérégulation, les ajustements structurels, contribuent souvent à la paupérisation de femmes, par le démantèlement de services publics, dont elles sont les premières utilisatrices, ou auxquels elles doivent se substituer en raison de leur rôle dans la famille.
La répartition des rôles et des pouvoirs entre femmes et hommes ne constitue-t-elle pas la base de l’activité économique ? En effet, le rôle dit reproductif (domestique, ménager) et la fonction de soin (care), assumés majoritairement par les femmes, sont le socle sociétal permettant la fonction productive. Le statut du rôle domestique est paradoxal, puisque d’une part il s’agit d’un travail effectué gratuitement par les femmes, qui n’est pas intégré dans les richesses économiques (le PIB comptabilise uniquement les valeurs marchandes et les activités rémunératrices), d’autre part, sans ce travail invisible, toute l’économie – et même toute l’organisation sociale –s’effondrerait certainement assez rapidement.
Les Nations unies ont ainsi estimé que le travail gratuit des femmes représente à peu près 50 % du PIB mondial (11 000 milliards de dollars / an), et que les femmes assument les 3/4 de l’ensemble des heures de travail mondiales. Mais elles ne consacrent qu’1/3 de leur temps au travail rémunéré et les deux autres tiers au travail non rémunéré. La proportion est inverse pour les hommes.
Dès les années 70, des études économiques féministes ont analysé le système économique comme un système patriarcal, basé sur l’exploitation du travail d’une catégorie sociale par une autre. Le système colonial et Nord/Sud de division du travail fonctionne de la même façon. En même temps, le système d’exploitation des femmes est transversal aux autres modes d’exploitation.
Dans le monde, les femmes effectuent les deux tiers du nombre d’heures de travail rémunéré et non rémunéré. Elles produisent plus de la moitié des aliments, mais elles ne gagnent que 10 % du revenu total, possèdent moins de 2 % des terres, reçoivent moins de 5 % des prêts bancaires.
Les femmes constituent 70 % des 1,2 milliard de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour. L’égalité salariale n’existe dans aucun pays. Ainsi, dans l’Union européenne, les femmes gagnent en moyenne 17 % de moins que les hommes. Dans le secteur formel, en moyenne 1 homme sur 8 occupe un poste de haute direction, pour une femme sur 40.
Selon le Bureau international du travail (BIT), le nombre de femmes qui travaillent dans le monde a augmenté de presque 200 millions au cours de la décennie écoulée, pour atteindre 1,2 milliard en 2007, contre 1,8 milliard d’hommes. Mais dans le même temps, le nombre de femmes sans emploi est passé de 70,2 à 81,6 millions. Le taux de chômage des femmes est de 6,4 % contre 5,7 % chez les hommes. La part des femmes dans « l’emploi vulnérable » (travaillant à leur propre compte ou comme travailleuses familiales non rémunérées plutôt que titulaires d’un travail salarié et rémunéré) a régressé de 56,1 à 51,7 % depuis 1997. Le ratio emploi-population des femmes – qui indique quel avantage les économies tirent partie du potentiel productif de leur population en âge de travailler – était de 49,1 % en 2007, comparé au ratio des hommes de 74,3 %.
Le secteur des services a dépassé celui de l’agriculture en tant que premier employeur des femmes. En 2007, 36,1 % des femmes travaillaient dans l’agriculture et 46,3 % dans les services. 34 % des hommes travaillent dans l’agriculture et 40,4 % dans les services.
Après plusieurs décennies de développement et d’aide au développement, le constat a été fait que la situation économique des femmes ne s’était pas améliorée et qu’elles avaient très peu gagné en responsabilité et en autonomie. Les politiques libérales d’ajustement structurel, à partir de la crise de la dette des années 80, ont même conduit à la paupérisation de femmes, dont la charge de travail s’est alourdie pour pallier la diminution des services publics, de santé, d’éducation, etc.
C’est pourquoi on est passé de l’approche "Intégrer les femmes au développement" à l’approche "Genre et développement", avec un tournant à la Conférence internationale de Pékin en 1995, qui a fait de la lutte contre la pauvreté croissante des femmes un des 12 objectifs du plan d’action, que tous les Etats se sont engagés à mettre en œuvre.
Dès 1979, la CEDEF (Convention pour l’élimination de toutes les discriminations envers les femmes) avait traité de toutes les discriminations, y compris au niveau professionnel et économique.
Article 11 de la CEDEF
Les États parties s’engagent à prendre toutes le mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi, afin d’assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les mêmes droits, et en particulier :
a) Le droit au travail en tant que droit inaliénable de tous les êtres humains ;
b) Le droit aux mêmes possibilités d’emploi, y compris l’application des mêmes critères de sélection en matière d’emploi ;
c) Le droit au libre choix de la profession et de l’emploi, le droit à la promotion, à la stabilité de l’emploi et à toutes les prestations et conditions de travail, le droit à la formation professionnelle et au recyclage, y compris l’apprentissage, le perfectionnement professionnel et la formation permanente ;
d) Le droit à l’égalité de rémunération, y compris de prestation, à l’égalité de traitement pour un travail d’égale valeur aussi bien qu’à l’égalité de traitement en ce qui concerne l’évaluation de la qualité du travail.
La Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement à l’Assemblée générale de l’ONU, septembre 2005, indique plusieurs leviers essentiels à mettre en oeuvre pour atteindre l’égalité des sexes et la promotion des femmes, dont leviers économiques suivants :
garantir aux femmes le droit de posséder des biens ou d’en hériter, et en leur assurant la sécurité d’occupation des terres et du logement ;
améliorer la situation des femmes sur le plan de l’égalité d’accès aux marchés du travail et à un emploi durable, ainsi que sur celui de la protection des travailleurs ;
assurer aux femmes l’égalité d’accès aux moyens de production, y compris la terre, le crédit et la technologie ;
favoriser une meilleure représentation des femmes dans les organes décisionnaires de l’État, y compris en veillant à ce que les femmes aient les mêmes chances que les hommes pour ce qui est de participer pleinement à la vie politique.
Cette déclaration indique également "Nous constatons que la généralisation d’une perspective de genre est un bon moyen de promouvoir l’égalité des sexes. Nous nous engageons donc à promouvoir activement cette démarche dans la conception, la mise en oeuvre, le suivi et l’évaluation des politiques et programmes politiques, économiques et sociaux, ainsi qu’à renforcer les capacités du système des Nations unies dans ce domaine".
En France Le Document d’orientation stratégique genre du ministère des Affaires étrangères, adopté en décembre 2007 et en cours de révision pour un nouveau document d’ici fin 2013, souligne la nécessité d’intégrer l’approche de genre dans les cadres institutionnels et juridiques et d’intégrer le genre de façon transversale dans les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP), DSRP (document stratégique de réduction de la pauvreté), DSCRP (croissance) et autres stratégies nationales de développement ; en veillant à ce que l’appareil statistique soit genré, de même que l’approche budgétaire.
L’économie est donc un secteur où les clivages femmes-hommes sont très forts dans les rôles reproductifs, productifs, décisionnels.
Même quand une partie du rôle de soin est progressivement monétarisé, il reste dévalorisé, sous-payé et exercé majoritairement par des femmes, suscitant un nouveau pan de l’activité économique, le care qui produit de nouveaux types d’inégalités - comme les migrations internationales des femmes des pays du Sud vers les pays riches pour exercer des fonctions de soignantes, d’infirmières, de garde d’enfants et de personnes âgées...
Les femmes servent souvent de « variable d’ajustement ». Dans les périodes d’expansion économiques, elles sont incitées à entrer sur le marché du travail pour combler les pénuries de main-d’œuvre sans que les salaires n’augmentent trop (les femmes étant moins payées). Dans les périodes de récession, elles sont les premières touchées par le chômage, le temps partiel, la précarité, et leur travail domestique augmente.
Les femmes sont plus nombreuses dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Il s’agit d’une économie qui s’occupe du care, qui constitue par certains aspects un ensemble de filets sociaux en appoint de l’économie dominante. Plus de 70 % des salarié-es d’association sont des femmes - mais le profil type du dirigeant associatif bénévole reste un homme retraité de milieu cadre supérieur.
L’analyse de genre appliquée à l’économie montre que celle-ci est très politique, qu’elle reflète des valeurs culturelles, des choix de société, des rapports de force, de domination, etc.
L’approche de genre est donc essentielle quand on travaille sur le développement économique, qui est une des composantes du développement humain durable. Les institutions de développement soulignent de façon récurrente que les inégalités femmes-hommes sont un frein à la croissance économique et que, partout dans le monde, la progression de l’égalité se traduit par des points de croissance. Il est évident que l’accès aux facteurs de production, à la propriété foncière, au crédit, à la formation professionnelle, à des infrastructures, la possibilité de se déplacer librement, l’âge du mariage, etc. ont un impact sur le développement économique.
Toutes les institutions internationales font de l’efficacité de l’aide un impératif et prennent en compte le genre comme facteur d’efficacité, notamment pour le développement économique et la croissance. La Banque mondiale en a fait une stratégie d’intervention, avec son concept de femmes pour une smart économie. Cette approche a néanmoins été épinglée par des ONG, notamment lors de la journée Osons le genre, organisée par Coordination Sud en décembre 2006. Le genre comme moyen efficace d’augmenter les ressources et les points de croissance parce que les femmes travailleront plus est à prendre avec précaution, l’efficacité économique peut être une instrumentalisation de la situation de subordination des femmes.
C’est pourquoi l’approche économique n’est pas envisageable sans les droits humains : les droits civiles et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels sont indissociables et le principe d’égalité des femmes et des hommes doit s’appliquer simultanément à l’ensemble des secteurs.
L’approche de genre interroge en effet le type d’économie que l’on veut promouvoir...
Ainsi, le Programme Genre et développement économique, les femmes actrices du développement en Afrique de l’Ouest, qui rassemble 12 ONG française et 30 partenaires dans six pays (Burkina Faso, Bénin, Mali, Niger, Togo, Sénégal) a pour objectif de passer des activités génératrices de revenus pour les femmes (AGR) à des activités réellement rémunératrices, mais aussi, par des actions d’empowerment et de plaidoyer, à augmenter l’autonomie et le pouvoir pour les femmes et à favoriser les transformations sociales des rapports entre hommes et des femmes.
Le mouvement féministe s’exprime sur la question du genre et de l’économie depuis plusieurs décennies, notamment sur les liens entre travail domestique et travail rémunéré (cf. le slogan féministe des années 1970 "Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?"). La notion de domination et d’exploitation du travail gratuit d’une catégorie sociale (les femmes) par une autre (les hommes) fait évidemment l’objet de bien des résistances, au même titre que celle d’exploitation entre classes sociales ou entre pays du Nord et du Sud, que des féministes ont également articulé avec leurs travaux.
Dossier et outils pédagogique sur Genre et commerce (Kits Actu de Bridge)
Projet Mic Mac de Genre en action : l’impact des politiques macro-économiques sur les relations de genre
Une dynamique féministe francophone pour les droits des femmes dans l’économie (deux vidéos sur le site de Genre en Action)
Article "des pistes de réflexion féministe pour une autre économie" dans egalité-infos
Rubrique économie féministe sur economieautrement.org
Le travail domestique, 33 % du PIB pour 160 % du travail rémunéré ? Point de vue de Jean Gadrey
Dossier dans socioeco.org
http://www.iaffe.org/ (Association internationale pour une économie féministe, créée aux Etats-Unis en 1990 (en anglais).
Jeter des Ponts pour transformer le pouvoir économique, article d’AWID
Une vision féministe de l’économie au Québec ; Un regard féministe sur l’économie sociale et solidaire
"Economie féministe et nouveau paradigme de développement" dans le rapport de Social Watch 2012
La budgétisation sensible au genre
L’égalité professionnelles, faits, chiffres et ressources
Position du groupe Genre et développement soutenable (cf. sur économie verte)
Les liens entre publicité, mode de consommation et genre